Qu'il est doux de profiter du soleil ... [Mattéo]

Après une matinée grisâtre, le soleil avait enfin réussi à percer.
16 heures. Chiyo sortit du théâtre et leva les yeux au ciel. Elle sourit en constatant que le beau temps était revenu. Ce matin-là, lorsqu'elle s'était levé sous les nuages, elle avait eu peur qu'il se mette à pleuvoir. Mais non, il faisait beau, et elle songea qu'une ballade, après être restée enfermé pendant presque 7 heures, ne lui ferait pas de mal.
Dans quelques semaines, aurait lieu la première de la pièce que sa troupe présenterait, et Chiyo travaillait d'arrache-pied pour la préparer. Elle avait un des premiers rôles, et était très fière de la confiance que le metteur en scène avait mis en elle.
Perdue dans ses pensées, elle passa sans y faire trop attention devant la Villa Torlonia. Ce ne fut que lorsque quelqu'un la bouscula qu'elle se rendit compte où elle était. Elle réfléchit quelques secondes, et se décida. Oui, une petite promenade ici ne lui déplairait pas. Avant cela, elle traversa la rue, acheta un Caffè Latte. Son gobelet à la main, elle entra dans le parc.
Depuis son arrivée à Rome, quatre ans plus tôt, c'était un des endroits que Chiyo préférait. Elle était fascinée par l'Histoire du lieu, mais aussi par les différents édifices qui s'y élevaient. Elle avait un faible pour les obélisques de granit, et à chaque fois qu'elle se promenait ici, elle s'installait toujours en face.
Ce qu'elle fit encore ce jour-là. Elle observa les deux colonnes qui s'élevaient devant elle, et avec un petit sourire de contentement, s'assit sur un banc, sous un arbre.
Chiyo sortit de son sac le scénario de la pièce et le posa à côté d'elle. Elle avala une gorgée de Caffè.

*Du café, du soleil, de l'Histoire ... tout pour passer un agréable moment !*

Journée des plus intenses pour Mattéo. On l'avait affecté aux soins intensifs cette semaine, et il fallait bien reconnaître que ... ce service n'était pas des plus faciles, au contraire. Bien sûr, Mattéo n'effectuait qu'un stage, étant en dernière année d'externat mais entre les cours magistraux à l'université, se retrouver un peu dans le feu de l'action lui faisait du bien. Après tout, la théorie, ça allait bien cinq minutes.

Sous la direction de Materoni, un interne doué qui l'avait pris sous son aile depuis le début de son externat, Mattéo avait dû travailler sur le cas difficile d'une femme qui était en phase terminale, avec des traitements lourds et autres. Mattéo n'avait le droit ni de prescrire, ni de s'occuper en tant que tel du patient. Il n'avait aucune responsabilité en somme. Mais ce jour-là, la patiente avait eu l'excellente idée de faire une grave hémorragie alors qu'il se trouvait dans la pièce. L'hôpital étant en sous-effectif à cause d'un grave accident de la route qui monopolisait médecins et infirmières aux urgences, Materoni avait du laisser Mattéo avec la jeune femme pour essayer de contenir l'hémorragie. Issue de l'incident: Mattéo, du sang pleins les mains et la blouse, regardant son supérieur prononcer l'heure du décès. Il avait été trop long à trouver un chirurgien, tous trop occupés à opérer des victimes de l'accident. Bilan: au moins un mort en tout cas.

Le jeune italien, un peu sous le choc, s'était vite repris. Ca serait son quotidien plus tard, il fallait s'y faire. Même si c'était dur. Même si ça faisait mal. Même si le sang sur ses mains, ses bras, sa peau, partait mal même sous un lavabo. La douche de l'hôpital lui fit cependant du bien, et il enfila en sortant un léger pull sur un jean, puis s'enfuit dehors, le plus loin possible de la chambre 403.

Ses converses le menèrent tout droit au parc de la Villa Torlonia, et ça n'était sans doute pas vraiment un hasard. Déjà, l'endroit se trouvait non loin de l'hôpital et assez facile d'accès, et puis Mattéo aimait y aller quand il ressentait une quelconque émotion de trop: la frustration, la jalousie, la colère... et cette fois alors? La peur? Peut-être. En tout cas, il fallait que ça passe.

Le soleil venait réchauffer la peau du jeune homme qui avançait la tête légèrement rentrée dans les épaules, sans pour autant avoir vraiment froid puisque sa veste était de loin suffisante à se protéger du vent un peu gelé ces temps-ci. Il marchait sans savoir où il allait et il s'efforçait de ne penser à rien. C'est dur de ne penser à rien. On pense toujours à quelque chose.

Au bout de quelques secondes, minutes, heures, il n'aurais pas trop du dire, il vit au loin deux obélisques majestueuses, qui tendaient vers le ciel, mais son regard ne s'y attarda pas. Il fut capturé par la jeune femme assise en face, en train de lire. Chiyo.

*Pas maintenant Mattéo, tu n'es pas en état.*

Et demain, ça serait quoi? Pas maintenant Mattéo, tu as trop bu? Pas maintenant Mattéo, elle est occupée? Pas maintenant Mattéo, tu as la trouille tout simplement. Il fallait bien la surmonter un jour, sa peur non? Et puis, rien que la vue de la belle japonaise lui avait redonné le sourire. Passant ses pouces dans ses poches sans pourtant y rentrer les mains, celles-ci confortablement plaquées contre ses cuisses, il s'avança vers elle et s'arrêta pile en face. Un lover se serait assis à côté d'elle, aurait passé son bras négligemment derrière son dos et aurait fait mince de rien. Mattéo n'était pas un lover. L'amour? N'importe quoi.

Il la regarda avec un léger sourire sans aucune fausseté et décida à prendre la parole.

- Bonjour...

Dire qu'il avait parlé était un terme un peu fort. Il avait plus murmuré qu'autre chose, peut-être pour éviter de la surprendre vu combien elle semblait concentrée à lire son... script?

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